EuroBusiness Media (EBM) : Orange, premier opérateur français de téléphonie et l’un des leaders européens du secteur, publie ses résultats pour le premier semestre. Stéphane Richard bonjour, vous êtes le Président-directeur général d’Orange. Au regard des résultats du premier semestre, quel commentaire faites-vous et quelles leçons, quels enseignements le marché peut ou doit-il en tirer ?
Stéphane Richard : Orange a fait un bon premier semestre 2015. On peut même dire très bon. Ça se manifeste notamment par le fait que le chiffre d’affaires du Groupe sur l’ensemble du semestre, hors régulation, est stable. Ça n’était pas arrivé depuis plusieurs années et l’EBIDTA également en valeur est stable, hors régulation. Quand on regarde plus précisément le deuxième trimestre de 2015, c’est celui qui marque la tendance, c’est très encourageant puisque là on a un chiffre d’affaires hors régulation qui est en légère croissance - c’est la première fois aussi que cela arrive depuis de nombreuses années - et un EBIDTA également qui marque une légère croissance hors régulation. Donc la tendance de fond est bonne, elle est satisfaisante et je crois qu’elle est prometteuse pour les trimestres qui viennent. Moi, je vois dans ce résultat global, finalement, la récompense de nos efforts.
De nos efforts plus particulièrement sur deux domaines : d’abord les coûts. Vous savez qu’on est engagé depuis plusieurs années sur une réduction de nos coûts, de l’ensemble de nos coûts. C’est un effort important que l’entreprise fait, une très grande focalisation aussi de son management et de ses équipes. Ce qui est important, c’est que cet effort ne se relâche pas, bien au contraire, puisque quand on regarde globalement la baisse des coûts indirects, on voit que cette baisse a été maintenue à un niveau élevé, et surtout que tous les postes de coûts indirects marquent cette baisse et donc traduisent les efforts que nous avons faits.
Il y a aussi bien sûr l’évolution des effectifs. On a des effectifs, globalement, au niveau du Groupe, qui baissent de 4%, on est là aussi engagé dans une trajectoire de baisse régulière de nos effectifs. Premier message important, le Groupe est focalisé sur le travail d’optimisation de sa base de coûts. C’est un effort pluriannuel, dont le premier trimestre 2015 marque une nouvelle étape. C’est très important.
Le deuxième message porte sur les capex, sur les investissements. Vous savez, on a fait le choix - qui a été confirmé aussi dans notre plan Essentiels 2020 - d’investir beaucoup notamment dans la modernisation de nos réseaux et plus particulièrement dans le déploiement du très haut débit, fixe et mobile, parce qu’à l’heure de la révolution digitale, c’est la première chose que tous nos utilisateurs attendent de l’opérateur, c’est cette capacité à leur proposer la meilleure technologie d’accès, le très haut débit, fixe et mobile, le plus vite possible et dans les conditions les plus compétitives possibles. Le Groupe a consenti des efforts importants - une enveloppe d’investissement de 15 milliards d’euros d’ici 2018 dont 60% va aller dans les réseaux, et cette stratégie paie. C’est ça qu’il faut bien souligner.
C’est d’abord la 4G dans le mobile qui est un très grand succès populaire, commercial. Partout. On a aujourd’hui des taux de couverture de la 4G dans les grands pays européens qui font de nous le leader du marché. On est à 95% par exemple en Belgique, à plus de 80% en Espagne, à près de 80% en France, où on mène aussi la course en tête. On va bientôt atteindre les 5 millions de clients 4G. Aujourd’hui, il y a 40% du trafic data en France qui passe sur le réseau 4G. Donc la 4G est un grand succès technologique et commercial. Puis il y a le fixe avec le grand chantier de la fibre, d’abord en France, bien entendu où nous sommes la locomotive du déploiement de la fibre en France.
Je ne vous donne qu’un seul chiffre : sur le premier semestre 2015, Orange a déployé près de 500.000 nouvelles prises de fibre. Le deuxième opérateur derrière nous est à 40.000. Je ne le citerai pas. Donc on fait vraiment la course en tête. On a dépassé les 700.000 clients aujourd’hui effectifs à la fibre, c’est là aussi un immense succès populaire et ça nous permet d’avoir une part de conquête sur le marché du broadband fixe qui est à un niveau record encore puisque si on prend le chiffre du deuxième trimestre 2015 on est au-dessus de 40% de part de conquête, ce qui n’était pas arrivé depuis… – désolé, je crois même que c’est le record historique.
Donc vous voyez qu’au total ces chiffres marquent les efforts que le Groupe a consentis - et continue d’ailleurs à faire - de façon extrêmement persévérante, extrêmement organisée, méthodique aussi, les coûts, les capex avec le résultat que nous attendons tous, qui est une dynamique commerciale qui reste très bonne et qui nous permet de conforter nos positions dans nos principaux pays.
EBM : Lorsqu’on regarde vos actualités récentes on a l’impression que le dernier trimestre a été marqué par une activité assez frénétique de fusions-acquisitions : ça rentre, ça sort… est-ce que le Groupe se transforme du « colosse fragile » en « molosse agile » aujourd’hui ?
Stéphane Richard : Un colosse agile, peut-être, ce serait bien. J’avais toujours dit que le portefeuille d’actifs qui est le nôtre devait respirer et qu’on ne devait pas hésiter, d’abord à le revoir régulièrement et à tirer des conséquences de situations, dans tel ou tel pays, qui ne nous satisfont pas, c’est-à-dire qui ne correspondent pas à nos objectifs à long terme, soit parce qu’on a une position trop faible, soit parce que l’état du secteur dans ce pays ne nous permet pas d’affirmer notre stratégie de leadership. Donc c’est ce que nous faisons.
Au premier semestre 2015, nous sommes sortis de quelques pays – l’Ouganda. Nous avons annoncé récemment un projet de sortie d’Arménie. Je rappelle qu’on a aussi cédé – qu’on est en discussion dans le processus de cession – de nos parts dans EE, l’opérateur anglais, qui va faire d’ailleurs de nous un actionnaire de British Telecom. Donc je crois qu’on a vraiment montré qu’on était pragmatique et qu’on était capable aussi d’être rapide, pour tirer les conséquences de situations qui ne nous conviennent pas dans un certain nombre de pays.
En sens inverse, le Groupe est aussi actif pour saisir les opportunités de croissance dans ses priorités. Je pense à l’Afrique en particulier, avec l’annonce récente de rentrer en négociation exclusive avec Bharti Airtel pour reprendre les opérations de Bharti dans 4 nouveaux pays africains. Ça représente une dizaine de millions de clients et € 600 millions de chiffre d’affaires et je dirais que la position d’Orange sur le continent africain va se trouver ainsi renforcée.
Je rappelle aussi que nous avons mis en place une holding qui va regrouper l’ensemble de nos activités en Afrique et au Moyen-Orient, ce qui va nous permettre à la fois de donner beaucoup plus de visibilité à nos activités africaines, qui se sont beaucoup développées ces dernières années, et qui sera aussi un outil précieux pour l’avenir, pour continuer cette croissance ou éventuellement faire rentrer de nouveaux partenaires, voire décider d’une cotation, décision qu’on n’a pas prise, mais en tout cas la création de ce véhicule le permettra.
Et puis je voudrais souligner l’opération majeure qui a consisté pour nous à acquérir Jazztel en Espagne : plus de €3 milliards d’investissements. La première chose que je voudrais dire c’est que cette opération s’est parfaitement déroulée. Nous l’avons annoncée en septembre 2014 ; elle est aujourd’hui bouclée. Nous sommes en phase d’intégration. L’OPA était un très grand succès puisqu’on a eu 95% de taux de réussite et c’est un projet formidable, parce qu’en réunissant Orange et Jazztel en Espagne, on marie les deux sociétés qui ont été les grandes success stories du marché espagnol depuis des années. Ça va être une société incroyable, extrêmement dynamique - le meilleur du mobile et le meilleur du fixe - et je crois que c’est un pas en avant, dans la stratégie de consolidation et de convergence en Europe, qui est majeur pour le Groupe.
EBM : Justement, en parlant de la stratégie de consolidation, pour ce qui est de la France ou de l’Europe, on a l’impression qu’on voit chez vous une stratégie un peu double : peut-être un petit peu en retrait aujourd’hui sur la France et au contraire, plus tournée vers l’Europe. Est-ce que vous pourriez développer ?
Stéphane Richard : Sur la France, il faut comprendre que nous sommes l’opérateur historique, de loin le leader dans le fixe et dans le mobile et que forcément ça ne nous place pas dans une situation idéale pour être l’acteur de la consolidation. Ne serait-ce que pour des raisons d’antitrust.
Cela ne change rien au constat que je fais et que j’exprime depuis longtemps - à savoir que je pense que la situation du marché français à quatre acteurs n’est pas soutenable à terme. Je pense que les besoins d’investissement notamment avec le déploiement de la fibre - et l’arrivée des nouvelles technologies dans le mobile - font qu’à l’instar de ce qu’on voit en Allemagne, en Angleterre, en Espagne - j’en ai parlé -, peut-être bientôt en Italie, la France devra, à un moment ou un autre, aller vers une forme de consolidation. Mais la position d’Orange en France ne lui permet pas d’être l’acteur de premier plan de cette consolidation et finalement, on en a tiré, nous, une conséquence très opérationnelle, à savoir qu’on a construit notre stratégie en France sur la base du marché tel qu’il est. Et ça marche.
Je vous rappelle qu’Orange est l’acteur en France qui a le moins besoin de cette consolidation. Les autres peuvent en avoir plus besoin que nous, finalement. Je pense que ce serait bien pour l’équilibre du marché, mais nous sommes celui qui peut continuer son chemin et sa croissance sans cette consolidation. Après, en Europe, vous connaissez la situation, il y a beaucoup trop d’opérateurs en Europe, c’est une évidence, je crois que tout le monde le reconnait aujourd’hui. Il y a déjà une consolidation à l’œuvre, elle va se poursuivre, à la fois dans le sens de la convergence, toujours, fixe-mobile.
Les acteurs mobile only sont de plus en plus rares en Europe et je pense que ce sera de plus en plus difficile dans les années qui viennent de développer une stratégie uniquement basée sur le mobile. Et en ce qui nous concerne, dans les grands pays où nous sommes, nous voulons être convergents, nous sommes déjà convergents dans beaucoup de pays, il y en a quelques-uns où on doit l’être davantage et on a une stratégie pour cela et puis il y a la perspective du grand marché européen unifié.
Ça fait des années qu’on en parle. Je crois que cette perspective se précise maintenant – il y a des textes qui sont en discussion à Bruxelles et je pense que dans les années qui viennent on va voir enfin arriver ce marché télécom intégré, ça veut dire un seul régulateur au niveau européen, une seule appréciation des positions concurrentielles au niveau de l’Europe. Une seule politique d’allocation du spectre aussi et à l’évidence ceci va favoriser le développement des grands acteurs paneuropéens et aussi peut-être des rapprochements transfrontaliers.
Donc je sais bien que le marché est toujours un peu sceptique sur l’intérêt de ces rapprochements, mais dans la perspective de ce grand marché, dans l’évolution des réseaux (et je pense notamment aux grands réseaux fixe avec l’apparition de beaucoup plus de synergies en fait dans ce réseau européen fixe, et fixe et mobile) que nous voyons se profiler, on aura des opportunités de rapprochement transfrontaliers dans les années qui viennent. Il n’y a pas de projet à court terme, mais je pense que c’est inscrit dans l’avenir de l’industrie européenne. Et naturellement Orange souhaite - et a vocation - à y jouer un rôle important.
EBM : En mars dernier vous avez présenté lors de votre Journée Investisseurs Essentiels 2020, une stratégie, un plan, est-ce que vous pourriez revenir dessus et éventuellement commenter le dynamisme que cela a insufflé aux collaborateurs du Groupe ?
Stéphane Richard : Je vais vous dire une chose très simple, c’est le deuxième plan que je porte. Le premier, c’était Conquêtes 2015, en 2010, c’était à un moment de l’histoire du Groupe très particulier où il fallait redonner une dynamique, il fallait recréer aussi du dialogue entre les équipes, il y avait une situation très particulière en France. Ce plan Conquêtes 2015 nous a permis, je crois, d’écrire une nouvelle page dans l’histoire du Groupe et de repartir à l’offensive.
Le plan Essentiels 2020, par certains aspects, est bien meilleur que le plan Conquêtes 2015. Il est bien meilleur parce que je crois qu’il vise vraiment ce que sont les grands défis technologiques, opérationnels, commerciaux du Groupe dans les années qui viennent. Je pense que ce plan est d’une très grande qualité, je le dis d’autant plus facilement que je n’en suis évidemment pas l’unique auteur ou inspirateur : on l’a travaillé avec beaucoup de gens autour de nous. Je suis frappé de voir l’adhésion qu’il suscite chez nous dans nos équipes dans tous les pays.
Je me suis beaucoup déplacé depuis le 17 mars 2015 où j’ai présenté ce plan et je suis très, très frappé, très heureux de voir l’enthousiasme même que cette feuille de route suscite dans nos équipes ; ils y voient vraiment un ensemble de réponses extrêmement pertinentes à la problématique très complexe, quand même, dans laquelle les opérateurs comme Orange se trouvent aujourd’hui dans ce monde numérique qui évolue tous les jours, avec de nouveaux acteurs qui apparaissent continuellement et des défis permanents.
Je crois qu’on a là une très bonne feuille de route avec un accent très fort, vous le savez, qui est placé sur la connectivité enrichie qui est quand même la première chose qu’on attend d’un opérateur mais qui va aussi explorer beaucoup d’autres domaines : tout le chantier de la relation client, qu’il faut mettre à l’heure digitale, ce qu’on a déjà commencé d’ailleurs ; on a modernisé profondément nos réseaux de boutiques, on a tout un volet interne, on a la partie B2B. J’en profite pour dire que ça, c’est aussi une satisfaction de 2015 : on a des résultats dans la branche entreprise qui sont très encourageants, là aussi il y a une rupture de tendance par rapport aux dernières années, ça participe à la dynamique globale. Donc tout un chantier sur cette partie-là.
Et puis il y a l’ambition que nous avons de nous développer dans de nouveaux métiers, de nouveaux services. Qui sont très adhérents par rapport à notre métier de l’accès : la banque mobile, l’internet des objets... Tout ceci est en train de s’organiser, ça va très vite. Il y a eu une adoption de cette proposition stratégique que nous avons faite qui a été très très rapide, très dynamique et j’y vois pour ma part le signe que nous sommes une entreprise qui sait se mobiliser, très fortement et très vite, pour peu qu’on nous définisse un cap, et je crois vraiment qu’on a trouvé les bons axes et les bonnes réponses pour éclairer un peu notre route pour les années qui viennent. Donc je suis très satisfait du démarrage de ce plan Essentiels 2020 qui s’est fait quasi instantanément.
EBM : Stéphane Richard, Président-directeur général d’Orange, je vous remercie.
Stéphane Richard : Merci à vous.