EuroBusiness Media (EBM) : Le groupe Orange présente ses résultats annuels 2015. Stéphane Richard, bonjour. Vous êtes le Président-directeur général d'Orange. Est-ce que les résultats annuels que vous présentez aujourd’hui pour 2015 ne représentent pas une année charnière ?
Stéphane Richard : Si, je crois qu'on peut dire que c'est une année charnière, une année de retournement. Peut-être que s'il y a un mot à retenir de cette publication 2015, c'est celui de croissance, retour à la croissance. Ça fait 6 ans, en fait, qu'on attendait ce retour à la croissance. Il se voit sur le chiffre d'affaires, d'abord. Nous repassons au-dessus de la barre des 40 Mds€, avec 2 trimestres consécutifs de croissance. Aussi, la croissance de l'EBITDA, puisque l'EBITDA à 12,4 Mds€ est en légère croissance par rapport à 2014. Et surtout, il bat l'objectif qu'on s'était fixé, aussi bien d'ailleurs à périmètre comparable qu'en tenant compte des acquisitions et des nouvelles opérations qu'on a consolidées : Jazztel et le Maroc. Et puis peut-être qu'il faut aussi souligner la dynamique commerciale très forte, qui se traduit dans ces chiffres. Je citerai simplement là quelques illustrations marquantes. La fibre d'abord. On a multiplié par 3 le nombre de nos clients à la fibre, à près de 2 millions en fin d'année 2015. Multiplication par 2 du nombre de clients 4G. Voilà je crois quelques belles illustrations de cette dynamique qui nous a porté en 2015.
EBM : Si on rentre un peu plus dans le détail, comment s’est articulée cette croissance finalement ?
Stéphane Richard : Alors on peut peut-être commencer par la France, qui est quand-même le pays le plus important du Groupe. 2015 est, je crois, une année brillante en France qui se caractérise notamment par un EBITDA en croissance sur nos opérations françaises. C'est une dynamique commerciale très forte aussi bien dans le mobile où nous avons eu un niveau de conquête qu'on n'avait pas connu depuis quelques années, soutenu par la 4G et par le déploiement de la 4G – nous sommes à plus de 80% de couverture 4G LTE en France – et puis par la fibre. On est très clairement en tête sur la conquête dans ce marché du très haut débit fixe qui maintenant est le segment le plus important du marché fixe en France, et là c'est vrai que le rythme de nos investissements nous donne un avantage très, très grand. Je pourrais aussi parler des attributions de fréquence parce qu'il y avait une attribution importante, vous le savez, sur la bande des 700 Mhz en France, dans laquelle Orange a pu récupérer le lot qu'elle souhaitait et vient ainsi conforter son leadership dans ce domaine.
Au-delà de la France, il y a l'Espagne. En 'Espagne, 2015 a été l'année de l'intégration de Jazztel. Une intégration, je crois qu'on peut dire qu'elle est réussie aujourd'hui, puisque les synergies qu'on a d'ores et déjà dégagées, et qu'on prévoit d'ailleurs dans les mois qui viennent, sont assez nettement supérieures à ce qu'on avait annoncé au marché. Et un premier signe je crois très positif c'est là aussi le retour à la croissance en dérivée de notre EBITDA sur la fin de l'année 2015.
On peut citer la Belgique, où Mobistar a fait une très belle année 2015, là fortement soutenu aussi par les investissements dans la 4G : 99% de couverture 4G dans ce pays. Une perspective qui est celle maintenant d'aller vers la convergence à travers l'accès régulé au câble.
Peut-être un mot sur l'Afrique. L'Afrique globalement a enregistré un taux de croissance supérieur à 5%, donc nous apporte toujours ce supplément de croissance qui est évidemment précieux pour nous au niveau des chiffres du Groupe, tout en maintenant un taux de profitabilité qui est en moyenne supérieur de 3 points à la moyenne du Groupe.
En Pologne, on a une bonne dynamique sur le mobile. Là on a aussi un effet de retournement. Un marché toujours difficile sur le Fixed Broadband, auquel on a décidé là de répondre par la concentration de nos efforts d'investissement avec un plan de déploiement, fibre optique en particulier, ambitieux sur 3 ans.
Et puis peut-être, enfin, un mot sur la branche Entreprise, qui après des années de difficultés, de pression, dans un marché là aussi très concurrentiel et des changements de modèle économique, a fait une belle année 2015 avec un chiffre d'affaires pratiquement stable, et aussi une amélioration de sa performance économique.
EBM : Globalement, on voit que comme annoncé lors du plan 2020, une des clés de votre stratégie repose sur les capex et on a envie de vous demander, est-ce qu'ils ont été significatifs ?
Stéphane Richard : Oui, on a fait un gros effort d'investissement, c'est vraiment la clé de notre démarche. Il faut bien le comprendre, le but d'Orange c'est vraiment de se différencier par la qualité de l'expérience client, qui passe évidemment aussi par la croissance de ces investissements. Donc, globalement au niveau du Groupe, les capex ont progressé de plus de 9%, et pratiquement les deux tiers de ces investissements vont dans les réseaux. Vous vous souvenez que j'avais annoncé un volume de 15 Mds€ d'investissements d'ici à 2018 dans les réseaux, donc on est dans ce plan de marche.
Cette progression des capex évidemment est essentielle pour comprendre d'où naît en fait cette dynamique commerciale : c'est vraiment sur la qualité des infrastructures que, un peu partout d'ailleurs, on fait la différence avec nos concurrents. Donc, ça s'illustre évidemment sur le fixe avec l'accélération du déploiement de la fibre. On est à plus de 5 millions de foyers connectables en France, et on vient de dépasser le million de clients effectifs à la fibre, qui est un chiffre qu'on tangente en Espagne d'ores et déjà grâce à la combinaison aussi avec Jazztel. Donc, voilà deux pays où ce moteur de la fibre donne à plein régime. Et nous sommes aujourd'hui, Orange, l'opérateur qui déploie le plus de fibre optique en Europe.
Et puis il y a la 4G. Vous savez bien que dans le mobile, ce qui a vraiment permis ce retournement aussi la stabilisation de la ARPU (Average Revenue Per User), c'est la 4G. Et dans la 4G là aussi on est nettement en tête pratiquement dans tous les pays où nous sommes en termes de taux de couverture, de rapidité du déploiement, et globalement on a un nombre de clients en Europe en 4G qui a doublé d'une année sur l'autre.
Donc, oui, 2015 a été une année de fort investissement, avec un ratio sur le chiffre d'affaires qui à 16%, même un peu plus de 16%, atteint des niveaux historiquement élevés. Ça va d'ailleurs se prolonger encore, au moins sur les 2 ans qui viennent, pour vraiment conforter ce leadership que nous avons aujourd'hui.
EBM : Quand on regarde l’évolution de votre EBITDA, on voit que ce ne sont plus les seules économies de coûts qui le nourrissent ? Qu'est-ce qui se passe par ailleurs?
Stéphane Richard : Ça c'est très important de le comprendre. C'est vrai qu'on a fait face dans les 2 ou 3 dernières années à des marchés difficiles parce que très concurrentiels. Ils sont toujours concurrentiels, mais avec des décrochages de prix très violents, des revenus en baisse. Et donc la priorité, la focalisation du Groupe et du management, a été sur la réduction de la base de coûts. On a mis en œuvre un plan, le plan Chrysalide, avec un objectif qui a été d'ailleurs dépassé, de réaliser 3 Mds€ d'économies. Ce qui est intéressant et nouveau et positif en 2015, c'est qu'on voit qu’on a un effet cumulé désormais de deux tendances. Evidemment toujours les efforts sur les coûts que nous ne relâchons pas, et d'ailleurs on a décidé de relancer un nouveau plan qui s'appelle Explore 2020, qui va être en quelque sorte une nouvelle étape dans cet effort de recherche de performance et d'optimisation de nos coûts. Donc nous ne relâchons pas du tout l'effort sur ce plan-là. Mais au même temps, on est aussi soutenu par cette nouvelle dynamique de croissance sur nos revenus, elle-même permise par les investissements. Et donc ces deux effets maintenant se cumulent et nous permettent d'envisager un retour à la croissance durable de l'EBITDA.
EBM : Aujourd'hui quels sont les grands chantiers opérationnels qui vous occupent ?
Stéphane Richard : Il y en a beaucoup, naturellement. Mais j'en citerais un premier qui est celui du lancement de la banque, de notre projet de banque. Puisque, vous savez, on a décidé dans notre plan de créer une activité dans le domaine de la banque 100% mobile, 100% digital. On a accéléré la mise en œuvre de ce projet en rentrant en discussion exclusive avec Groupama en France pour acquérir cette plateforme bancaire. Groupama Banque, qui va nous permettre d'être au rendez-vous de ce lancement en début 2017. Donc on est en pleine phase de préparation du lancement de l'offre de banque. Voilà un grand chantier opérationnel.
Je citerais également, bien sûr, la poursuite de nos programmes d'investissement, et en particulier les efforts que nous faisons pour améliorer la couverture mobile un peu partout, mais notamment en France. On a récemment annoncé par exemple le fait que l'intégralité de la ligne de TGV Paris-Lyon est désormais couverte en 3G / 4G, donc un changement très spectaculaire sur l'expérience des voyageurs. Mais on le fait aussi pour les autoroutes. On travaille beaucoup aussi pour l'amélioration de la couverture indoor. Et puis il y a toujours bien sûr la poursuite du déploiement de la fibre optique pour laquelle 2016 va être une année encore d'accélération.
EBM : Alors, justement en parlant de 2016, quelle est votre guidance pour cette année ?
Stéphane Richard : En 2016, nous avons un premier objectif simple qui est de générer un EBITDA supérieur à celui de 2015. 2015 a été l'année du retournement, avec quand même un an d'avance sur le plan qu'on s'était fixé. Il faut qu'en 2016 on consolide ce retour à la croissance et donc le premier objectif très simple il est de dégager un EBITDA en 2016 supérieur à celui de 2015.
Un deuxième objectif important, qui est relatif au bilan, je ne l'ai pas évoqué, mais l'ensemble des performances de 2015 a été obtenu en respectant scrupuleusement la solidité de notre bilan et notamment le ratio entre la dette et l'EBITDA, qui est autour de 2, qui est notre objectif de moyen terme. Donc ce sont deux objectifs très importants.
Je rajouterais peut-être un troisième, qui est la gestion de notre portefeuille d'actifs. 2015 a été une année active de ce point de vue, puisqu'on a fait un certain nombre d'acquisitions qui vont toujours dans le sens de notre stratégie. La convergence: Jazztel en Espagne. La croissance avec 4 nouveaux pays en Afrique. On a soigneusement choisi au milieu de beaucoup d'autres opportunités.
Et au même temps, en 2015, on a été aussi capables de sortir d'un certain nombre de pays pour lesquels on n'était plus justement en cohérence avec cette stratégie : deux pays africains, dont le Kenya, qui est un pays important, et puis EE, bien entendu, au Royaume-Uni, qui est un opérateur purement mobile pour lequel nous avons estimé qu'il fallait également organiser une sortie, qui a été faite dans d'excellentes conditions. Donc, cette gestion sélective et dynamique du portefeuille d'opérations, nous allons la poursuivre en 2016 sur l'ensemble des géographies sur lesquelles nous opérons.
EBM : Et alors, finalement, pour quand la progression du dividende?
Stéphane Richard : Le dividende c'est quand même d'abord une nouvelle importante. On va le maintenir au niveau où il est aujourd'hui, qui offre, je crois, un rendement attractif à l'action à €0,60. Ce niveau est confirmé bien sûr pour 2015 mais aussi pour l'année 2016.
Certes, l'EBITDA renoue avec une progression. Cette progression est encore faible, trop faible à mes yeux. On va essayer d'accélérer cette croissance. Elle est aussi récente. Puisqu'on a que deux trimestres derrière nous. Donc, je pense qu'il est raisonnable et sain, notamment compte tenu du niveau d'investissement qui est le nôtre, de consolider ce retour à l'accroissement de la profitabilité, et donc c'est après quelques trimestres de croissance d'EBITDA et probablement un gain de plusieurs points de croissance d'EBITDA, qu'on envisagera, comme je l'avais dit d'ailleurs, de modifier notre politique de distribution en la rendant plus attractive.
EBM : Et enfin, ma dernière question, et vous l’attendiez, je le sai, la question de la consolidation du secteur. Où en est-on aujourd'hui ?
Stéphane Richard : La France, c'est l'actualité du moment. On est un peu dans un paradoxe parce que finalement, en France, nous sommes probablement celui des 4 acteurs qui a le moins besoin de cette consolidation. Mais au même temps, on est les seuls à pouvoir la rendre possible. C'est lié à la nature de ces entreprises, à leur actionnariat, et à la position aussi d'Orange dans le système. Ce qui fait que nous avons aujourd'hui une position que je qualifierais de forte dans ce dossier. Parce que finalement nous sommes un acteur incontournable de cette consolidation, et au même temps on est en position de pouvoir fixer un certain nombre de conditions claires et fermes. Et pour moi la première de ces conditions c'est que cette opération soit incontestablement créatrice de valeur et fortement créatrice de valeur pour les actionnaires d'Orange. Donc, à partir de cette exigence que nous nous sommes fixée, nous avons maintenant une équation à résoudre, qui est une équation comme chacun le comprend, complexe. Puisque cette consolidation elle ne se fait pas seulement sur la base de discussion entre deux acteurs mais bien entre les quatre acteurs. Donc c'est une équation compliquée.
Nous avons bien entendu aussi l'obligation de déboucher sur un schéma qui soit acceptable par l'Autorité de la concurrence qui va devoir le valider. Donc c'est un travail très dense, très intense en ce moment. J'ai dit que ce processus, même s'il est très complexe, ne devait pas ou ne pouvait pas s'éterniser sur plusieurs mois. Donc, c'est une affaire de quelques semaines. Ça fait à peu près un mois qu'on discute avec les différentes parties concernées de ce schéma. Je reste sur cet objectif de boucler cette opération, si on estime, une fois de plus, que les conditions qu'on a fixées au départ sont remplies, dans les toutes prochaines semaines. Je ne peux pas fixer là de délai, mais en tout cas, c'est toujours ma volonté. Il y a une bonne dynamique dans ces discussions. Je reste raisonnablement optimiste sur le résultat, tout en étant toujours prudent, parce qu'une fois de plus, le schéma est compliqué et l'exigence que nous avons posée au départ est non-négociable.
EBM : Stéphane Richard, PDG d'Orange, je vous remercie.
Stéphane Richard : Merci à vous.