EuroBusiness Media (EBM) : Morgan Stanley vient d’organiser à Barcelone sa conférence annuelle sur les technologies, les médias et les télécoms. Stéphane Richard, bonjour. Vous êtes le CEO d’Orange. Vous étiez l’un des orateurs invités à cette conférence, avec Delphine Ernotte, Directrice générale d’Orange France. Depuis l’été, la consolidation en Europe est un sujet d’attention majeur dans votre secteur. Quelle évolution envisagez-vous ? Pensez-vous qu’Orange prendra part à cette vague de consolidation ?
Stéphane Richard: Tout d’abord, cette consolidation, l’Europe en a besoin. Tout le monde a pris conscience aujourd’hui qu’il y a trop d’intervenants en Europe : on y compte plus de 100 opérateurs fixes et mobiles. Vu les investissements et l’innovation que demande ce marché, une consolidation est indispensable. Quelques ébauches de projets de consolidation intra-marchés existent déjà. Ainsi, vous avez probablement entendu parler du projet de fusion entre le numéro 2 et le numéro 3 du marché allemand. L’Allemagne pourrait passer ainsi de 4 à 3 opérateurs. Dans d’autres pays d’Europe, comme l’Espagne et la Pologne, des perspectives équivalentes se dessinent.
Deuxième point : le cadre juridique, particulièrement à Bruxelles, semble évoluer. L’opinion de M. Almunia, Vice-Président de la Commission européenne, semble avoir quelque peu évolué sur ce point. Ainsi, il vient d’annoncer officiellement ne pas avoir d’idée préconçue quant au nombre idéal d’opérateurs sur un marché donné, même un marché aussi important que l’Allemagne. Une situation à trois ou quatre opérateurs serait durable dans le secteur. Voilà qui me semble dessiner un environnement propice à des projets de consolidation. D’autre part, certains opérateurs non européens suivent de près l’évolution en Europe. Je pense à América Móvil à propos du dossier KPN, je pense à AT&T dont la rumeur rappelle régulièrement l’intérêt pour Vodaphone. Enfin, par « consolidation » on peut entendre soit une consolidation intra-marché en téléphonie mobile, soit une intégration entre téléphonie fixe et mobile. C’est là, me semble-t-il, une autre tendance très importante observée en Europe, à savoir la tendance à la convergence. Un peu partout en Europe, se manifeste une très forte tendance à la convergence des services de téléphonie fixe et mobile.
EBM : Voyez-vous de réelles opportunités de consolidation en France ? Si oui, à quelle échéance ? Ou pensez-vous que la mutualisation des réseaux est une solution intermédiaire, voire même ultime ?
Stéphane Richard: Avant tout, en Europe, Orange occupe une position essentielle. Le Groupe a très certainement un rôle à jouer dans cette consolidation. En effet, nous sommes le leader sur plusieurs marchés, et un challenger très bien placé sur d’autres, tels que l’Espagne, la Pologne, la Roumanie ou la Belgique. Nous pourrions donc être l’acteur d’une consolidation intra-marché au sein du secteur de la téléphonie mobile ou d’une consolidation entre téléphonie fixe et mobile. S’agissant du marché français, la situation est très singulière puisque nous sommes l’opérateur historique, de loin le leader tant en téléphonie fixe que mobile. De toute évidence, il n’y a guère d’opportunités pour nous en France, parce que cela ferait de nous un opérateur dominant sur le marché. Très franchement, cela ne me semble pas une perspective réaliste. Cela dit, un mouvement de consolidation en France nous serait favorable. La question qui se pose est la suivante : « pourrions-nous tenter une forme de consolidation ? ». Une première étape à envisager dans le sens d’une consolidation serait peut-être la mutualisation des réseaux. Comme vous le savez, un accord de mutualisation des réseaux est en cours de négociation entre SFR et Bouygues, donc attendons d’en voir les effets. En toute hypothèse, qu’il y ait mutualisation des réseaux ou consolidation entre d’autres opérateurs français, Orange y gagnera. J’ai la conviction qu’il n’y a pas de place en France pour quatre opérateurs mobiles, et qu’à moyen ou long terme, le nombre d’opérateurs diminuera en France, avec des retombées favorables pour Orange.
EBM : Comme vous le savez, le marché s’intéresse beaucoup à votre capacité à stabiliser l’EBITDA en 2014. Qu’en est-il ? Êtes-vous toujours déterminé à atteindre cet objectif ?
Stéphane Richard: Absolument. Et vous avez raison de dire qu’il s’agit là d’un rendez-vous crucial entre nous et le marché. Où en sommes-nous aujourd’hui ? La situation est la suivante : nous ressentons une certaine pression sur le chiffre d'affaires. Non pas faute de dynamisme commercial - nous sommes plutôt bons, en réalité - mais du fait d’une chute générale des prix. Comme vous le savez, la concurrence sur les prix est féroce. Bien entendu, cela se ressent dans le chiffre d'affaires. Qu’avons-nous entrepris ces derniers mois pour y faire face ? Tout d’abord, nous avons pris des initiatives marketing très innovantes, notamment avec le lancement d’offres convergentes en France et en Espagne. Ces actions, qui représentent des offres à faible coût, rencontrent un franc succès. Ensuite, nous avons travaillé d’arrache-pied à réduire nos coûts, en particulier les coûts indirects au sein du Groupe, afin de sécuriser notre génération d'EBITDA sous l’angle des coûts. Voyez les chiffres 2013 : nous nous étions engagés à réduire de €600 millions le total des coûts du Groupe cette année. A la fin de l’année, l’économie dépassera les €900 millions. Autrement dit, nos mesures de réduction de coûts portent leurs fruits. Pour 2014, je reste réaliste : je m’attends à voir encore beaucoup de pression sur le chiffre d'affaires. C’est pour cette raison que nous devons absolument travailler sur les coûts. Mon équipe et moi sommes déterminés à améliorer notre structure de coûts afin de stabiliser l’EBITDA l’an prochain. Je peux confirmer que c’est notre ambition. Ce n’est pas un objectif ou une guidance à destination des marchés, car ce n’est pas encore le moment. J’en reparlerai plus en détail en mars, au moment de présenter les perspectives 2014.
EBM : En matière de dividende, devrez-vous arbitrer entre votre taux d’endettement et votre dividende ? Pourrez-vous maintenir la politique de dividende au-delà de 2013 ?
Stéphane Richard: Avant tout, je tiens à confirmer le versement de 0,80€ cette année, en 2013. Pour l’avenir, notre solvabilité est excellente, parfaitement maîtrisée, et Orange ne connait aucune difficulté de trésorerie. Ce n’est pas nécessairement vrai chez d’autres opérateurs de téléphonie, mais quant à nous, notre notation est bonne, notre endettement est bien géré et sous contrôle. Il n’y a aucun problème de trésorerie chez Orange pour les années à venir. Cela veut dire que si nous parvenons à maintenir l’EBITDA au niveau souhaité pour l’année prochaine, nous serons en mesure de payer 0,80€ de dividende l’année prochaine et les années suivantes. Ce qu’il me semble important de faire comprendre au marché, c'est que pour mon équipe et pour moi-même, le dividende ne fait l’objet d’aucun débat politique. Il est normal que nous payions à nos actionnaires un dividende normal adapté à l’économie de l’entreprise. Je serai personnellement très attentif à expliquer, également devant mon Conseil, que la mise en œuvre d’une politique de distribution à la fois durable et régulière est indispensable, notamment dans l’optique du maintien de bonnes relations avec les actionnaires.
EBM : Enfin, encore une question sur la France. Face aux nombreuses inconnues sur ce marché, comment comptez-vous renouer avec la croissance ?
Stéphane Richard: Soyons réalistes. À court terme, je ne m’attends pas à un retour de la croissance en France. La raison en est simple : sur un des volets essentiels de ce marché, le marché mobile, nous sommes encore en pleine guerre des prix, ou au moins une forme de guerre des prix, entre opérateurs. Nous devons donc défendre nos propres positions, notre clientèle. Le revenu moyen par utilisateur va probablement baisser encore de 8% l’an prochain. Autant dire que stabiliser le chiffre d'affaires est impossible. Inutile donc d’espérer quelque croissance que ce soit à court terme. Ce à quoi nous travaillons maintenant, c’est une réflexion sur les prochaines activités de croissance que nous pouvons créer et développer par l’innovation. Je ne mentionnerai que deux axes. Le premier est celui des services mobiles 4G. De toute évidence, la 4G est pour nous l’occasion de vendre à bon prix une nouvelle technologie, un nouveau service, une nouvelle expérience utilisateur ; c’est très prometteur. Les premières semaines du marché 4G sont d’ailleurs excellentes. Nous atteindrons 1 million de clients actifs à la fin de l’année en France, il y a donc un appétit manifeste chez nos clients. Nous vendrons la 4G avec une prime située entre 5 et 10 euros par mois, l’an prochain. De toute évidence, la 4G est l’occasion de recréer de la valeur sur le marché. Deuxième point : les services. J’ai le sentiment que nous n’en sommes qu’aux balbutiements des services internet et qu’un opérateur tel qu’Orange ne manquera pas d'occasions de créer des services nouveaux. Ceux-ci seront autant de relais futurs de croissance et l’occasion de mieux nous armer face au taux d’attrition de nos clients. Je pourrais encore mentionner la banque mobile, qui est l’une de nos grandes priorités pour l’avenir, ou l’e-santé. Comme vous le savez, nous sommes en Europe. Le vieillissement de la population y créera de nombreux besoins sociaux : davantage de soins aux aînés, pour les aider à rester plus longtemps chez eux ; sans compter les innombrables opportunités dans le domaine du bien-être, de l’e-santé, des soins de santé par le biais d’outils connectés et de réseaux. De toute évidence, il est important de s’y préparer. En résumé, je dirais qu’à moyen terme, nous pouvons nous attendre à de belles perspectives de croissance en s’appuyant sur les services à large bande, la 4G et bien sûr la fibre optique sur le marché fixe ; ainsi que de nouveaux services.
EBM : Stéphane Richard, CEO d’Orange, merci beaucoup.
Stéphane Richard: Merci à vous !