EuroBusiness Media (EBM) : Sanofi-aventis, l’un des leaders mondiaux de la santé, publie ses résultats annuels de l’exercice 2010. Chris Viehbacher, bienvenue.
Chris Viehbacher (CV) : Bonjour Adrian.
EBM : Vous êtes Directeur Général de sanofi-aventis. Quels commentaires pouvez-vous formuler sur les résultats financiers du groupe en 2010 ? Plus généralement, quels progrès avez-vous réalisés dans la transformation du groupe en 2010 ?
CV : Comme prévu, le groupe a souffert de la concurrence des génériques. C’est l’effet des expirations brevetaires que nous annonçons depuis quelque temps déjà. En revanche, et c’est très satisfaisant, la transformation du groupe prend vraiment tournure et commence à porter ses fruits de manière très positive pour le groupe. Malgré l’âpreté de la concurrence sur le front des génériques (qui nous coûte plus de €2 milliards de ventes), malgré la réforme des soins de santé aux États-Unis et malgré les baisses de prix imposées en Europe par des gouvernements en quête d’équilibre budgétaire après la crise, nos ventes ont reculé d’à peine 1%. On observe donc deux phénomènes simultanés : d’une part, l’érosion du chiffre d'affaires due à l’expiration des brevets sur des produits anciens et d’autre part, la montée en puissance de nos nouvelles plateformes de croissance. Celles-ci dégagent déjà €16 milliards de chiffre d'affaires, en croissance de 12,5%. Aujourd’hui, la moitié du groupe enregistre une croissance à deux chiffres. Au cours de l’année, nous avons également réduit nos coûts et généré un important flux de trésorerie. Alors ma vue d’ensemble sur le groupe tient en peu de mots : les défis sont nombreux, c’est certain, mais notre groupe y fait face avec succès.
EBM : Les effets de vos efforts de génération de trésorerie et de maîtrise des coûts sont-ils à la hauteur de vos attentes ?
CV : En termes de réduction des coûts, nous avons dépassé nos prévisions. Il y a deux ans, nous annoncions un vaste programme de réduction des coûts censé dégager €2 milliards d’économies avant 2013. À la fin de l’exercice 2010, nous avions déjà réalisé €1,3 milliard d’économies, et nous aurons probablement engrangé ces €2 milliards d’économies avec deux ans d’avance, soit fin 2011. La génération de trésorerie, elle aussi, retient toute notre attention. Ainsi, nous notons une progression de 27% du flux de trésorerie opérationnelle, à €9 milliards. Quant à notre taux d’endettement, à fin 2010, il est inférieur à celui de fin 2008, alors même que sur ces deux années nous avons décaissé €6 milliards en dividendes et €9 milliards pour des acquisitions. La preuve est faite de l’excellente capacité de génération de trésorerie de notre activité - mais aussi de notre gestion rigoureuse du fonds de roulement et de nos investissements.
EBM : Comment avez-vous progressé sur l’un de vos principaux moteurs de croissance, les marchés émergents ? Où vous situez-vous aujourd’hui sur ce marché, par comparaison à votre secteur ?
CV : Les marchés émergents deviennent véritablement un des atouts majeurs du groupe. Quelques chiffres : €9 milliards de chiffre d'affaires, une croissance à deux chiffres, près de 19 000 délégués médicaux, près de 40 000 collaborateurs, 38 usines qui produisent à très bas coût, dans des métiers où nous évoluons depuis des dizaines d’années, avec par conséquence une excellente capacité de gestion et une connaissance approfondie de la clientèle : voilà ce qu’a permis de réaliser notre portefeuille de produits. Et nous sommes, pour 2010, le seul acteur du secteur à avoir vendu davantage dans les marchés émergents qu’aux États-Unis ou qu’en Europe. Cette excellente diversification géographique m’apparaît essentielle pour la croissance à long terme du groupe. Dans tous les secteurs, les entreprises sont en quête de croissance dans les marchés émergents. Celles qui y ont l’exposition la plus forte, celles qui auront réussi à y créer des infrastructures, celles qui auront su créer une présence forte, seront celles qui tireront profit de cette croissance économique. Voilà, je crois, un des grands atouts de sanofi-aventis aujourd’hui.
EBM : Le traitement du diabète est un marché important pour sanofi-aventis. Comment voyez-vous évoluer le cadre concurrentiel et quelles sont vos prévisions pour la division Diabète pour 2011 et au-delà ?
CV : Sous l’angle thérapeutique, le diabète est sans conteste l’un des plus grands marchés du moment. Plus d’un quart de milliard de gens souffrent malheureusement du diabète de type 2. Nous sommes particulièrement bien positionnés dans ce domaine et seule une poignée d’entreprises pourra occuper cet espace concurrentiel. En 2010, nous avons réalisé €4,3 milliards de chiffre d'affaires, +9%. Notre principale marque, Lantus®, est le numéro 1 des ventes sur le segment du diabète aujourd’hui. Bien évidemment, nous développons de nouveaux produits dans ce domaine ; nous aurons bientôt un nouveau GLP1 appelé Lixisenatide. Nous étudions la possibilité d’une combinaison de Lixisenatide et Lantus®. Nous continuons de développer des produits pour ce marché. Notre forte présence dans les marchés émergents est également déterminante, car le diabète affecte pratiquement tous les pays de la planète. Sanofi-aventis me semble donc particulièrement bien placé sur ce segment. Nous y avons enregistré une forte croissance, que nous croyons appelée à s’accélérer à l’avenir.
EBM : L’année 2010, qui comprend les revenus du vaccin H1N1, aura été une excellente année pour votre activité vaccins. Quel sera l’effet de l’absence de ventes de vaccins H1N1 sur votre chiffre d'affaires « vaccins » 2011 ?
CV : Les ventes de vaccins H1N1 sont pratiquement identiques en 2009 et en 2010, il n’y a donc guère eu d’impact en termes de croissance - même s’il en est tout autrement en termes trimestriels. Nous avons enregistré de très fortes ventes H1N1 au quatrième trimestre 2009. Pour le dernier trimestre 2010, la comparaison est donc négative. Nous avons cependant enregistré d’excellentes ventes au premier trimestre 2010, ce qui aura une incidence sur le comparateur du premier trimestre 2011. Par contre, en termes de santé publique, nous n’avons heureusement pas eu de nouvelle pandémie, et nous ne prévoyons pas d’autres ventes de ce côté. En revanche, notre vaccin contre la grippe saisonnière a enregistré une excellente performance. Quant au H1N1, malgré une situation contrastée selon les pays, il a rappelé aux populations les risques liés à une pandémie. Or traiter efficacement une pandémie est avant tout une question de capacité de traitement, qui dépend elle-même de l’existence d’un programme extrêmement développé de production de vaccins contre la grippe saisonnière. Les taux de vaccination contre la grippe saisonnière ont été très élevés dans un certain nombre de pays et sanofi-aventis en a tiré profit. Dans le monde, les vaccins restent une excellente opportunité de développement. Ils sont très développés en Europe et aux États-Unis. Des programmes de vaccination d’enfants existent dans de nombreux pays, mais vu le potentiel des marchés émergents, les implications stratégiques de cette activité pour sanofi-aventis sont majeures. Disposer d’une unité de production à bas coût sera un atout maître. C’est notre cas, avec Shantha, et nous mettons tout en œuvre pour la rendre pleinement opérationnelle. Shantha nous a également apporté un portefeuille de nouveaux vaccins essentiels pour réaliser la croissance que nous visons. Là aussi, nous mettons tout en œuvre pour lancer ces vaccins sur le marché au plus tôt.
EBM : Qu’en est-il de la performance de la division Santé grand public en 2010 ? Et qu’espérez-vous du lancement imminent d’Allegra® en tant que marque en vente libre aux États-Unis ?
CV : Il y a trois ans, qui aurait imaginé sanofi-aventis dans le secteur de la santé grand public ? Partis littéralement de zéro, nous réalisons aujourd’hui un chiffre d'affaires de €2,2 milliards, avec une croissance à deux chiffres. Début 2010, nous n’avions aucune présence aux États-Unis, ni en Chine. À la fin de l’exercice, nous avions finalisé l’acquisition de Chattem, qui nous assure une importante clientèle aux États-Unis. Vient s’ajouter à cela la récente autorisation de délivrance en vente libre d’Allegra®, l’antihistaminique le plus prescrit aux États-Unis. Nous avons l’occasion de basculer cette activité vers la vente sans ordonnance avant le début de la saison et nous allons donc faire le nécessaire dans les semaines qui viennent. C’est une merveilleuse opportunité pour nous : à la tête de la principale chaîne de pharmacies des États-Unis, cette bascule vers la vente libre est la plus importante à laquelle on peut s’attendre dans les cinq années à venir. Nous n’étions pas présents en Chine au début de l’année. Aujourd’hui, nous détenons une participation majoritaire dans une coentreprise dans le secteur de la santé grand public et nous avons acquis BMP Sunstone, ce qui nous propulse à la cinquième place sur le marché chinois des médicaments en vente libre. Cette activité est en pleine phase de développement. Nous n’avons pas de grandes marques internationales, mais le marché de la santé grand public est justement un marché local. Nous sommes solidement implantés en Europe et en Amérique latine, et nous développons nos positions en Asie et aux États-Unis.
EBM : Qu’en est-il du lancement de Jevtana® aux États-Unis et de Multaq® en Europe ? Comment interpréter les premiers résultats des études de Phase III de l’Iniparib ?
CV : Avant tout, je tiens à dire que nous cueillons aujourd’hui les premiers fruits de nos efforts de R&D. Nous avons encore une longue route à parcourir, mais les premiers lancements sont en cours. Jevtana® a dépassé nos attentes avec des ventes supérieures à €80 millions aux Etats-Unis uniquement, depuis fin août. C’est un médicament majeur, qui montre un taux de survie de 30% dans le cancer avancé de la prostate. Du point de vue du patient, mais aussi d’un point de vue financier, ce lancement s’avère très positif. Les ventes de Multaq® sont particulièrement soutenues, particulièrement en Europe. Nous avons réussi à lancer Multaq® sur tous les grands marchés européens dès la première année de son approbation : Multaq® est désormais disponible presque dans le monde entier. Nous avons atteint un chiffre d'affaires 2010 d’environ €172 millions, et nous entendons poursuivre dans cette voie. La progression de Multaq® nous paraît tout à fait satisfaisante. Sur l’Iniparib (BSI-201), nous avons connu un revers. Les études de Phase III n’ont pas eu les effets que nous escomptions. En revanche, après analyse des résultats avec des experts, nous constatons chez les patients traités en deuxième et en troisième ligne un effet semblable aux résultats très prometteurs observés en Phase II. Nous sommes persuadés d’avoir ici une molécule active. Nous savons qu’elle est particulièrement bien tolérée. Nous poursuivons nos études du cancer de l’ovaire et du cancer du poumon, et nous entendons poursuivre également nos efforts dans le cancer du sein triple-négatif. Il est regrettable - mais pas inhabituel - en oncologie que les premières études s’avèrent moins concluantes qu’espéré, mais nous restons convaincus des qualités de l’Iniparib.
EBM : Quelle est la situation actuelle de Merial, votre division de Santé animale, dont la fusion avec Intervet est en cours ?
CV : Merial-Intervet est une excellente opportunité pour nous. Voyez les tendances macroéconomiques actuelles : accroissement de la population, renforcement indispensable de l’offre de produits alimentaires, progression du nombre d’animaux de compagnie concomitante à l’amélioration de la situation économique dans les marchés émergents. Outre qu’elle affirme notre présence sur tous les grands segments du marché de la santé animale (animaux de compagnie et de production), la fusion Merial-Intervet débouche sur une excellente distribution géographique. Les marchés émergents sont également importants pour la santé animale. En 2010, Merial a enregistré une croissance légèrement supérieure à 10% sur les marchés émergents. Avec une croissance de 2,5% environ, la division s’est bien développée. La progression de Frontline, particulièrement aux États-Unis, nous paraît également satisfaisante malgré l’émergence des premiers génériques de ce produit. Frontline, le seul blockbuster du secteur de la santé animale à dépasser le cap du milliard de dollars, est évidemment essentiel pour ce segment. Nous avons donc poursuivi notre travail avec Merck pour créer une coentreprise appelée à devenir un nouveau leader de la santé animale, et nous espérons pouvoir réaliser cette transaction au premier semestre 2011.
EBM : Genzyme vous a autorisé à pratiquer un audit de « due diligence ». Que pourrait signifier cette transaction pour sanofi-aventis et quelles sont les prochaines étapes ?
CV : Nous avons très bien progressé avec Genzyme. Nous avons pu impliquer la direction dans la négociation, à savoir que nous avons signé un contrat de confidentialité. L’audit préalable (due diligence) est actuellement en cours. Je reste convaincu de l’intérêt stratégique majeur de cette transaction pour notre groupe. Elle accélèrera notre pénétration dans le secteur de la biotechnologie. En outre, vu l’importance de la demande non satisfaite, le segment des maladies rares est en soi un segment important. Nous devons également comprendre la clé génétique de ces maladies, ce qui pourrait donner lieu à certains transferts de connaissances vers d’autres secteurs. Certains considèrent qu’en personnalisant la médecine à l’extrême, chaque maladie pourrait devenir une maladie rare. Il y a donc là matière à réflexion et à apprentissage. Nous estimons que la fusion des deux entités donnera lieu à d’importantes synergies. Compte tenu du positionnement mondial de sanofi-aventis, de notre forte présence notamment en oncologie, cette transaction devrait s’avérer intéressante aussi bien sur le plan financier que stratégique.
EBM : Enfin, 2011 verra s’intensifier encore la concurrence des génériques, les mesures d’austérité en Europe et les réformes de santé aux États-Unis. Tout cela aura un effet sur les ventes. Comment voyez-vous l’année 2011 ?
CV : Dans les grandes lignes, la tendance 2010 devrait se poursuivre en 2011. Comme vous l’indiquez, l’érosion des génériques va encore s’intensifier. Cela fait plus de deux ans que nous l’annonçons. De même, nous sommes persuadés que nos plateformes de croissance joueront un rôle important dans la croissance du groupe. Elles représentent désormais plus de la moitié de l’activité, et préfigurent ce que sera sanofi-aventis demain. Des incertitudes subsistent cependant. Quand la concurrence générique sur Taxotere® et Lovenox® va-t-elle s’intensifier aux États-Unis ? Bien sûr, nos prévisions se basent sur un maintien des ventes d’Eloxatine® aux États-Unis en 2011. Dès lors, et malgré les réformes de soins de santé aux États-Unis et en Europe, nous devrions parvenir à limiter le recul du BPA à un maximum de 5 à 10% en 2011.
EBM : Chris Viehbacher, Directeur Général de sanofi-aventis, je vous remercie.
CV : Merci, Adrian.