EuroBusiness Media (EBM) : Le groupe Arcelor, leader mondial de l'acier, vient de publier ses résultats pour le troisième trimestre 2005. Guy Dollé bonjour, vous êtes le Président de la Direction Générale du groupe Arcelor, quels sont vos commentaires sur la performance du groupe au troisième trimestre ?
Guy Dollé (GD) : C'est une performance excellente, dans un trimestre difficile. Tout le monde sait que, en Europe comme aux Etats-Unis, nous avons vu le démarrage, dès le deuxième trimestre, d'une période de déstockage avec une pression sur les prix, ce qui fait que l'on peut considérer le marché du troisième trimestre comme un repère de bas de cycle, et dans ces conditions, Arcelor a été capable de délivrer un EBITDA de €1,1 milliards; certes il comprend à peu près cent millions d' " exceptionnels " - mais j'y reviendrai tout à l'heure -, et ce milliard (hors affaires non récurrentes) d'EBITDA est lié a une politique commerciale adaptée, à notre flexibilité, et aussi à la croissance que nous avons pu réaliser l'année dernière avec notre prise de position au Brésil. Les cent millions d'euros d'EBITDA non récurrents sont liés a une politique dynamique d'adaptation du portefeuille : nous avions communiqué sur la cession de notre activité ronds à béton en Espagne, et nous avons pu démontrer que c'était profitable pour nos actionnaires. Nous avons aussi en parallèle acquis une nouvelle aciérie, une nouvelle usine en Pologne où nous allons développer des produits pour la construction.
EBM : Comment se passe votre expansion en Amérique du Sud ? En particulier, pouvez-vous nous communiquer un calendrier plus précis pour la simplification de la structure de holding au Brésil ?
GD : Pour le Brésil, j'ai deux informations a donner. La première c'est que, conformément aux annonces que nous avions déjà pu faire à la fin du mois de juillet, l'opération Arcelor au Brésil - les échanges de titres avec des actionnaires de CST et de Belgo Mineira -, sera terminée pour le 13 novembre, ce qui veut dire qu'à cette date Arcelor Brésil existera et on aura, comme nous l'avions dit, en fonction des choix des actionnaires antérieurs, entre 65% et 75% de parts dans Arcelor Brésil. Je peux aussi annoncer que nous avons trouvé, il y a maintenant quelque semaines, avec les fonds de pension, un accord pour racheter les actions votantes d'Acesita; ce qui va nous permettre de contrôler, au sens comptable du terme, et de pouvoir à terme consolider, dès ce quatrième trimestre, dans nos comptes, les résultats d'Acesita qui, je vous le rappelle, est certainement aujourd'hui encore la société mondiale la plus performante dans l'acier inoxydable.
EBM : Le marché s'attend a ce que vous fassiez de la croissance externe dans la période qui s'ouvre devant vous, après les restructurations et le désendettement réalisés dans la période précédente. Avez-vous des commentaires à nous faire quant a votre stratégie de croissance externe?
GD : Nous avons les ressources pour croître. Nous avons aujourd'hui un endettement qui a encore diminué sur le troisième trimestre de plus de €400 millions; donc avec moins de 10% de gearing, nous sommes tout à fait aptes a grossir extérieurement. Très clairement, comme nous l'avons démontré lors des deux dernières privatisations, nous privilégions la création de valeur par rapport à la croissance en nombre et en tonnage, donc il est évident que nous avons encore aujourd'hui un certain nombre de projets, dont certains ont déjà été cités, en Chine par exemple. Nous en avons d'autres ailleurs, mais comme il ne s'agit pas de privatisations, nous préférons, dans la situation actuelle, les garder secrets. Je pense que nous aurons dans les prochains mois à communiquer autour de l'avancement de ces dossiers.
EBM : Il a été dit que l'acquisition de Krivorijstal en Ukraine était beaucoup trop chère. Quelle est votre point de vue exactement sur cette question?
GD : Je dirais que si l'on regarde les trois acquisitions récentes majeures, qui sont Hylsa au Mexique - nous n'étions pas candidats -, la privatisation d'Erdemir en Turquie, ou bien la privatisation de Krivoy Rog, on a le sentiment d'un changement de paradigme en quelque sorte, avec des multiples qui sont très supérieurs à ce que nous avions l'habitude de voir dans ce métier, et avec des coûts d'entreprise, des valeurs d'entreprise supérieurs aux coûts de remplacement, ce qui a été assez inhabituel. Je pense qu'il est important, pour nous comme pour les autres acteurs, de réfléchir pour savoir si ceci va durer, parce que ceci pourrait certainement remettre en cause la politique de croissance externe de sociétés existantes. Nous sommes en train d'y réfléchir. Je considère effectivement que très clairement, le prix payé pour la Turquie, et certainement encore plus pour Krivoy Rog, est un prix excessif.
EBM : Quelles sont vos perspectives pour l'évolution des prix de l'acier en 2006?
GD : Cela dépend évidemment des produits, vous savez, dans ce métier c'est toujours très difficile de faire des prévisions douze mois à l'avance. Très clairement, le marché en Europe, aux Etats-Unis est aujourd'hui plus satisfaisant, parce que la consommation apparente, après le déstockage, s'est mise en phase avec la consommation réelle. Ce qui fait qu'après la chute de prix brutale que nous avons pu voir, en particulier sur les produits plats au troisième trimestre, nous sommes en mesure d'augmenter légèrement nos prix sur le dernier trimestre de cette année, et certainement de continuer aussi sur le premier trimestre de l'année prochaine. Il est difficile de voir sensiblement plus loin. Ceci étant, les prix resteront, même après ces hausses, selon moi, quand même inférieurs à ceux qu'ils ont été au pic qui a été atteint lors du deuxième trimestre de l'année 2005. Ceci est valable pour les produits plats. Pour les produits longs, cela repose beaucoup plus sur le prix de la ferraille, ce qui fait que plus ou moins nos marges restent constantes.
EBM : CVRD appelle à une hausse du prix de minerai de fer de 40%. Est-ce réaliste? Quelle est le point de vue du producteur d'acier dans cette négociation?
GD : Je ne connais pas ce chiffre de 40%, je ne l'ai pas vu publié, je ne l'ai pas vu commenté. Je voudrais simplement rappeler les conditions dans lesquelles les mineurs de fer ont expliqué la hausse de prix pour les contrats 2005: ils ont expliqué que les prix de l'acier avaient beaucoup augmenté, et qu'il fallait donc que le minerai suive. Je voudrais simplement rappeler aujourd'hui que les prix de l'acier spot, un peu partout dans le monde, ont baissé - moins certes qu'ils avaient augmenté pendant cette année - et donc le même raisonnement devrait amener à ce que le prix du minerai de fer baisse sur l'année 2006. Bien sûr, il y a d'autres facteurs importants, et en particulier la demande de la Chine, qui va certainement en croissance ralentir. Il me parait donc déraisonnable d'envisager une hausse de 40% sur le prix du minerai, et je n'ai pas le sentiment que ce soit l'objectif des mineurs de fer.
EBM : Enfin, quelles sont vos perspectives de résultats pour l'exercice 2006?
GD : Nous avons l'habitude de ne pas donner de perspectives de résultats, mais je dirais que ce qui me paraît très important aujourd'hui, c'est d'avoir fait la preuve que sur ce troisième trimestre - un trimestre un peu de bas de cycle - que nous avons été capables, en dépit de la saisonnalité en Europe, de dégager un milliard d'euros d'EBITDA. Si on le multiplie par 4, cela veut dire 4 milliards, et donc que le nouvel Arcelor, très différent de ce qu'il était il y a deux ans grace a nos progrès de gestion, à notre politique commerciale, à notre product-mix, grace aussi à la géographie, est aujourd'hui capable, même en bas de cycle, de dégager largement plus que le coût de son capital. Je pense que c'est quelque chose qui intéressera tous les investisseurs.
EBM : Guy Dollé, Président de la Direction générale du groupe Arcelor, je vous remercie.
GD : Merci.